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« Mariann et le pot au lait »

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En février 2010, l'effigie de Mariann Fischer Boel était brûlée sur la Grand-Place de Bruxelles. Les éleveurs laitiers européens fêtaient ainsi le départ de la Commissaire sortante, tenue pour responsable de la dérégulation du marché laitier, cause de la chute des prix et des revenus en 2009. Pendant cinq ans, elle a incarné la technocratie bruxelloise dans ses pires travers, maintenant le cap sur l'OMC pendant que les Américains renforçaient leurs protections et leurs soutiens internes. Elle a même repris la main sur le groupe d'experts de haut niveau que le Conseil des ministres a tenté de lui imposer. Ce qui nous vaut ce mini-paquet lait qui va nous mener tout droit à la situation suisse de sortie des quotas décriée par tous.

Mais qui est donc cette Mariann danoise qui nous a laissé cette bombe à retardement ? Après des débuts dans l'exportation, elle rejoint le parti libéral, entre au Parlement où elle préside la commission alimentation et agriculture, puis devient ministre de l'Agriculture du Danemark. Elle est ainsi la candidate parfaite pour le poste de Commissaire à l'agriculture lors du renouvellement de la Commission en 2004, qui a besoin d'une poigne pour mettre en oeuvre la réforme de 2003, si brutale pour les producteurs de lait !

Mariann connaît la musique. Elle a été au coeur des débats de la filière laitière danoise qui ont abouti, dès 1997, à la libéralisation complète du marché national des quotas et à une restructuration accélérée afin de se préparer à l'après-quotas. Pour les seules années 1998 et 1999, un tiers des vaches danoises a été relogé dans de nouvelles stabulations à plus de cent places. La fin des quotas décidée en 2003 devait permettre ainsi aux Danois de conforter leur avance par une restructuration plus complète de toute leur filière. Jusqu'en 2005, ce modèle très productif en volume de lait, mais très coûteux, a permis de dégager un revenu tout juste égal à celui des éleveurs français avec trois fois moins de vaches. 2007 a été nettement plus favorable aux Danois, mais elle a été suivie par trois années avec un revenu nul ou très négatif, avec des pertes proportionnelles au volume de lait. Et les prévisions ne sont guère beaucoup plus optimistes pour 2012 et 2013 pour les plus gros troupeaux !

Mariann coule aujourd'hui une retraite confortable, mais son rêve s'est transformé en cauchemar pour les éleveurs danois. Et elle hante maintenant tous les éleveurs européens, petits et grands, de plaine ou de montagne, qui se sentent poussés sur une même autoroute dans une course folle, suicidaire pour la plupart. “C'est la loi du marché” nous disait Mariann ! Sauf que son modèle a explosé en vol, sans attendre son soft landing sur la terre promise de l'après-quotas. Comme pour Perrette, le pot au lait s'est brisé et avec lui beaucoup de rêves et de vies humaines. En programmant la fin des quotas sans prévoir une autre forme de régulation entre les pays et entre les régions, Mariann et tous ceux qui l'ont suivie ont fait preuve d'une démission politique inacceptable, renforçant ainsi les risques d'éclatement d'une Union européenne déjà bien malade par manque de solidarité.

ANDRÉ PLFIMLIN, AUTEUR, INGÉNIEUR À L'INSTITUT DE L'ÉLEVAGE ET COORDINATEUR DES PROJETS EUROPÉENS JUSQU'EN 2009

Auteur d'« Europe laitière : valoriser tous les territoires pour construire l'avenir ». Éditions France Agricole 2010.

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